« Notre métier de bailleurs sociaux se trouve à la croisée des chemins »


Entre l’entrée en vigueur du nouveau DPE, la promulgation de loi Climat et Résilience et la RE2020, l’avenir du parc social français se trouve confronté à des enjeux plus importants que jamais. Rencontre avec Nicolas Prudhomme, directeur de la maîtrise d’ouvrage et des politiques patrimoniales au sein de l’Union Sociale pour l’Habitat (USH) et son adjoint chargé des politiques techniques, Alban Charrier.

Quels sont les principaux impacts de la réforme du Diagnostic de Performance Énergétique en vigueur depuis le 1er juillet dernier ?


Alban Charrier : Les impacts sont nombreux parce que le DPE est un outil important pour les bailleurs. C’était déjà le cas avant et après cette réforme mais encore plus depuis la loi Climat et Résilience, qui comporte plusieurs dispositions s’appuyant sur ce dernier. Le DPE devient donc l’outil réglementaire pour qualifier la qualité énergétique et désormais environnementale de nos patrimoines, mais aussi pour qualifier l’objectif à atteindre dans la définition d’une rénovation performante. Par là-même, il est appelé à devenir un critère de référence pour le financement des rénovations énergétiques. Le DPE devient aussi le critère de définition de « l’indécence énergétique » d’un logement et ce dans un avenir proche (2025 pour les logements classés G, 2028 pour les F et 2034 pour les E). S’ajoute une disposition nouvelle liée à cette même loi qui est l’obligation de réaliser pour les mono-propriétaires un DPE collectif nouvelle formule. Cet ensemble va définir très clairement nos stratégies d’intervention.

Pouvez-vous détailler ces stratégies d’intervention ?

Nicolas Prudhomme : Nous allons d’abord devoir requalifier l’ensemble de notre parc avec cette nouvelle méthode du DPE. Selon les projections faites par l’administration, nous savons que 40% de logements du parc social risque de changer d’étiquette, avec une amélioration pour certains et une dégradation pour d’autres. Résultat, nous devons refaire l’intégralité de nos DPE pour disposer d’une vraie vision de notre parc et ainsi pouvoir définir nos stratégies patrimoniales. Notre stratégie de vente, d’une part, puisque de la nouvelle étiquette dépendra notre droit, à céder ou non, tel ou tel bâtiment et, d’autre part, il nous faut revoir notre stratégie d’éradication des passoires thermiques F et G, lancée voici déjà quelques années. Certaines opérations de réhabilitation peuvent devenir moins prioritaires, puisque potentiellement classées E à la place de F ; inversement des patrimoines devront être intégrés dans nos plans de réhabilitation pour échapper aux nouvelles exigences de l’indécence énergétique.

 

 Il faut noter que le parc logement social comprendrait 7% de passoires F et G, quand, au niveau national, la part de passoires énergétiques est estimée à 17%

 

Comment comptez-vous procéder ?

Nicolas Prudhomme : Nous bailleurs, nous sommes confrontés à une problématique particulière, puisque la méthode DPE pour les bâtiments collectifs n’est pas encore totalement fiabilisée. Nous sommes donc dans une phase d’attente des résultats du groupe de travail initié par la Ministre lors de la réunion de filière du 4 octobre, parce qu’au regard des enjeux financiers mais aussi d’organisation, nous avons l’impérieux besoin d’avoir un DPE collectif finalisé et fiable. La deuxième étape consiste à mettre à jour notre cartographie du parc, pour hiérarchiser les opérations.

Quel est votre calendrier ?

Nicolas Prudhomme : Le calendrier de fiabilisation devrait prendre quelques mois. S’agissant de la réalisation des DPE Immeubles pour l’ensemble du parc, la loi nous oblige à le faire avant le 1er janvier 2024, ce qui nous semble trop court. En effet, en fonction de la taille des patrimoines, le délai de réalisation de l’ensemble des DPE immeubles et logements pourrait nécessiter de l’ordre de 24 à 36 mois avant de disposer d’une vision claire de l’état énergétique global du parc. Par conséquent, nous allons cibler en priorité les bâtiments en vente, ceux déjà dans un circuit de montage de réhabilitation, et les bâtiments F & E qui vont être prioritaires en raison de des échéances de « l’indécence énergétique » imposées par la loi Climat & Résilience.

Avez-vous déjà une idée des choix techniques que vous allez retenir ?

Alban Charrier : Sur l’existant, nous avons deux axes d’action : diminuer les besoins en travaillant sur l’isolation de l’enveloppe des bâtiments, et ensuite l’action sur les systèmes et les vecteurs énergétiques. Ce dont nous avons besoin pour nos locataires et pour répondre aux enjeux environnementaux, c’est d’un vecteur énergétique décarboné, à coût maîtrisé, renouvelable, présent sur tout le territoire avec une garantie de fourniture. Tout ce qui va permettre de répondre à cette exigence sera retenu.

Sachant que le parc social utilise majoritairement le gaz, allez-vous privilégier le gaz vert ?

Nicolas Prudhomme : Le gaz vert répond à une partie de la problématique puisqu’il est décarboné. Mais il faut s’assurer qu’il soit compétitif et surtout qu’il soit valorisé dans le DPE, sans quoi il ne sera pas intégré dans la stratégie des bailleurs.

Avant de réaliser concrètement les DPE, quel est l’état du parc social français ?

Nicolas Prudhomme : Il faut tout d’abord noter que le parc logement social, dans les études faites par l’Etat, comprendrait 7% de passoires F et G, quand, au niveau national, la part de passoires énergétique est estimée à 17%. Les bailleurs ont donc déjà fait une part importante du traitement des passoires énergétiques dans leur parc.

Alban Charrier. La cartographie faite par les bailleurs et l’État sur notre parc montre 800 000 logements classés E, à traiter donc d’ici 2034 pour échapper à la qualification d’indécence énergétique, selon le planning de la loi Climat et Résilience, les ajoutant ainsi à nos plans de réhabilitation. Les logements classés F et G, de leur côté, seraient au nombre de 350 000.

 

L’intégration du gaz vert dans le RE2020 a fait l’objet de nombreux débats. Je suis certain que nous l’aurons à nouveau lors des clauses de revoyure

Comment finance-t-on la rénovation énergétique de 1 150 000 logements, sachant qu’il faut leur faire gagner au minimum deux classes ?

Nicolas Prudhomme : A propos des logements E, pour répondre à l’article 160 de la loi Climat et Résilience, une classe suffit. Mais il est très probable qu’une part des subventions soit conditionnée à l’atteinte de la définition d’une rénovation performante, soit deux classes voire plus. C’est une inquiétude puisque cela créera très certainement un besoin de financement et un coût global de la réhabilitation plus importants qu’initialement prévu. Nous les financerons en mobilisant des subventions, des fonds propres et en contractant des prêts. Cela fait partie de l’activité du bailleur, dans le cadre de sa stratégie patrimoniale.

Ceci ne risque-t-il pas, à terme, de limiter l’extension du parc social alors qu’il manque plus de 2 millions de logements sociaux en France ?

Nicolas Prudhomme : Cela dépend énormément de la situation et du contexte de chacun des bailleurs, ainsi que des conditions de financements que les bailleurs pourront mobiliser auprès des collectivités locales et de l’État pour travailler sur ces opérations. Il y a aussi un travail à réaliser sur la massification afin de faire émerger des solutions optimisant le coût. Pour synthétiser, aujourd’hui, nous avons un objectif de construction de 125 000 logements par an et un parc de 5 millions de logements existants. Et, parmi ces logements, 1 150 000 à rénover de manière prioritaire d’ici 2034.

Entre la loi Climat et Résilience, le nouveau DPE et la RE2020, comment voyez-vous l’évolution du parc social ?

Alban Charrier : Avec la RE2020, nous savons que ce que nous construisions hier ne sera pas identique à ce que nous construirons demain. Cela nous conduit à réfléchir sur le coût global durable, qui aura une dimension économique comme c’est déjà le cas, mais aussi une dimension carbone. Et nous n’oublions jamais l’impact de la construction sur l’occupant, essentiel pour nous. Nous sommes vraiment à une croisée des chemins, notre métier change. L’ouvrage que l’on va acheter demain, avec la RE2020 et avec l’intégration globale du carbone dans nos actions, nécessite l’acquisition de nouvelles compétences et fait évoluer notre métier de maître d’ouvrage.

Comment appréhendez-vous ces évolutions ?

Nicolas Prudhomme : Nous, USH, travaillons à de l’appui professionnel à nos adhérents avec une école bas carbone pour leur apporter cette nouvelle connaissance. C’est un travail avec l’ensemble des acteurs et des industriels pour trouver des solutions techniques qui vont permettre de massifier à la fois la construction et la réhabilitation. Nous avons une spécificité aussi, avec un parc principalement collectif pour lequel nous devons accompagner l’émergence de nouvelles solutions et favoriser l’amélioration des solutions techniques existantes. Par exemple, dans ensemble immobilier doté d’une chaufferie gaz de forte puissance (plusieurs mégawatts), il va falloir trouver des solutions, soit pour la remplacer, soit pour y injecter du gaz vert, ce qui nous convainc assez bien. L’intégration du gaz vert dans le RE2020 a d’ailleurs fait l’objet de nombreux débats. Et je suis certain que nous l’aurons à nouveau lors des clauses de revoyure à venir.

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